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Je fais défiler les profils comme on cherche un produit dans les rayons d’un supermarché. Par principe, je ne prends jamais celui qui a le plus joli emballage, le plus commercial, celui que tout le monde veut. Comme je n’aimerais pas non plus qu’on m’évince pour une question d’emballage, je donne une chance à tout le monde.

Enfin, presque à tout le monde. Certaines ont le chic pour choisir les pires photos de profil. Dommage.

Faire ses courses en ligne dans un supermarché de l’amour, c’est terriblement décevant. Il y a les profils rédhibitoires : les fâchées avec l’orthographe (« on sen fou dé fotes, l’importen ces l’amour ! »), les bouches en cul de poule (« alors imagine le reste… »), les sectaires (« si tu n’as pas entre trente-quatre et trente-cinq ans, que tu n’habites pas dans un rayon de cinquante mètres autour de chez moi, que tu n’apprécies pas l’ensemble de ma discothèque et que tu n’aimes pas le café corsé du Chili, passe ton chemin ! »), les exigeantes (« je cherche un homme avec une bonne situation, une voiture décapotable, pas d’enfants et une capacité hors-norme à me supporter »).

Déjà, je peux facilement écarter un bon tiers des profils. Je suis fasciné par la multitude de femmes qui se retrouvent sur ces sites. Je ne suis visiblement pas le seul en manque d’amour.

Ou de sexe ?

Parce qu’il est clair qu’il sera plus facile de trouver des femmes pour une aventure d’un soir que pour refaire ma vie. Mais ça m’ira dans un premier temps. Presque trois années sans sentir une femme nue contre mon corps, ça commence à me peser.

Après avoir lu quelques pages consacrées aux explications et astuces pour draguer sur ce site, je me lance enfin dans une vaste campagne de reconnaissance. Je sélectionne celles qui me semblent correspondre et leur envoie une invitation.

Vient alors une phase d’attente assez éprouvante. Je vois qu’elles lisent mon profil, mais je ne reçois aucune réponse. C’est aussi pénible que démoralisant.

Heureusement, j’ai un ange gardien : Clémence. Comme d’habitude. Elle m’envoie par sms un petit texte que je trouve très touchant et que je m’empresse d’inclure sur ma page de profil, à la place de ma description un poil sommaire :

« Je confonds Jimmy Hendrix et Bob Marley, je grignote des spaghettis crues quand j’ai la flemme de me faire à manger, je ris des mêmes blagues dix fois de suite parce qu’entretemps je les ai oubliées, au milieu de mon salon je n’ai pas de télévision mais une immense bibliothèque que j’ai fabriquée de mes mains, je ne lis pas Petit Ours brun à mes enfants : je l’imite, une fois j’ai mangé un escargot vivant en pensant croquer dans une prune, j’ai fait dix ans de rugby sans jamais rien me casser mais j’ai fini en béquilles après avoir raté une marche en bas de chez moi, j’aime écouter du métal pendant que je polis un meuble, j’ai perdu six fois ma carte bancaire en trois mois si bien que j’ai une plaque à mon nom au-dessus du bureau de mon conseiller, j’ai fait un saut à l’élastique les yeux bandés parce que j’ai le vertige, je ronfle si fort que ça me réveille moi-même et parmi tout ce que je viens de te dire une seule chose est fausse. Sauras-tu la découvrir ? »

Moi je sais, évidemment.

Je remercie Clémence. J’aurais pu en profiter pour glisser une petite excuse, mais je n’ai pas vraiment compris sa réaction. Elle est partie comme si elle était vexée, mais pour quelle raison ? À cause des sculptures ? Elle peut comprendre que je n’aime pas étaler mon intimité, le fruit de mon imagination. Ce n’est pas une question d’amitié, ces statuettes sont purement personnelles, elles ne sont pas faites pour être vues par qui que ce soit d’autre que moi.

Je lui ai déjà révélé tout un pan de ma personnalité que je gardais secret. Je n’avais jamais montré à personne les ouvertures secrètes de ma bibliothèque, ni ma collection personnelle. Dans ces livres, il y a une part de mes fantasmes, elle le comprendra, j’en suis sûr, c’est déjà beaucoup pour moi.

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